Aller au contenu

 

Société et culture

Qui ne dit mot consent

Jean Paré, journaliste et auteur

La participation électorale est le thermomètre de la météo politique. Les températures récentes ont été sous la normale. D'aucuns considèrent ce changement climatique comme grave, voire catastrophique... Et les réactions sont inquiétantes. Des politologues proposent des scrutins de liste compensatoires-plurinominaux-cumulatifs-transférables-parallèles par apparentement et à géométrie variable — je m'amuse —, systèmes archi-compliqués qui aggraveraient plutôt le problème, car on aime bien savoir exactement quel sera l'effet de son vote.

Le directeur des élections, lui, conseille de rendre le vote obligatoire... pour forcer l'électeur à accomplir son devoir. «Devoir», le mot est lâché. Sauf que le vote n'a pas été arraché aux citoyens par le pouvoir; il a été enlevé au pouvoir par les citoyens : c'est un droit, pas un devoir. Les journalistes aiment bien dire que les citoyens se sont rendus aux urnes «accomplir leur devoir»; ils devraient plutôt dire qu'ils sont allés exercer leur droit.

Si voter est une liberté, l'abstention, aussi. D'autant plus que l'abstention n'indique pas nécessairement l'indifférence. Il y a bien des raisons de ne pas voter. On peut en être empêché par quelque tâche importante, un voyage, la maladie, un imprévu. Faudra-t-il des billets de médecin pour éviter l'amende? Surtout, il faut faire la différence entre «abstention» et «absence» : l'abstentionnisme véritable est un «isme», et, donc, un choix politique ou une stratégie, pour utiliser un mot à la mode aux dernières élections.

On peut être insatisfait du parti de son choix ou de son candidat sans pour autant vouloir voter pour un parti adverse. Un électeur peut estimer qu'il n'y a pas d'enjeux majeurs et que n'importe lequel des partis en lice fera l'affaire. Aujourd'hui, d'ailleurs, nombre de grandes questions sont sur le «pilote automatique», c'est-à-dire déterminées par la constitution, les chartes et les tribunaux.

Que les partis se ressemblent, comme on dit, est partiellement vrai. Un bouquet de mesures sociales a mis les citoyens à l'abri des catastrophes majeures malgré certaines embardées. De plus, nos choix électoraux n'auront d'effet, souvent, que dans un avenir assez lointain; aucun gouvernement ne peut, en un mandat ou même en deux, changer radicalement la fiscalité, rembourser la dette et régler les problèmes d'éducation, d'environnement ou de santé.

Restent, à l'occasion, des TGQ, de «très grandes questions» : constitution, corruption, guerre... Et en ces occasions, le vote «sort» : au référendum de 1995, la participation a été de 93,5 %. Sur des questions cruciales, sécession d'une province, abolition de la monarchie, gouvernements autochtones parallèles — ou imposition de la plus-value des résidences principales! —, soyons sans inquiétude, on verrait le taux de participation bondir. Tout comme quand apparaît un Obama...

Mais il y a autre chose. On peut aussi ne pas savoir pour qui voter, juger que l'on n'a pas la compétence pour décider de questions de plus en plus complexes. Et, en conséquence, avoir la sagesse de s'abstenir. Le politologue et historien français Bertrand de Jouvenel constatait, il y a déjà 50 ans, que le loisir et la capacité de prendre connaissance des intérêts généraux de la société n'ont pas augmenté à proportion de la complexité des problèmes (Arcadie, essais sur le mieux-vivre).

Soyons francs : il y a des gens dont on ne souhaite pas qu'ils votent. Et il ne s'agit pas d'un cas de figure. Plus d'un citoyen sur quatre (38 % selon l'Université de Montréal) serait «analphabète fonctionnel», incapable de comprendre même le mode d'emploi et la mise en garde sur une boîte d'analgésique. Plus de la moitié ne lisent jamais un journal. Où ces électeurs s'informeraient-ils? À Tout le monde en parle, maintenant que la disparition d'émissions d'affaires publiques sérieuses force les politiciens à aller grimacer dans des émissions juste pour rire? D'ailleurs, la contagion a atteint même les journaux, qui couvrent la politique comme un sport ou un spectacle : programmes, enjeux et idées, zéro.

Si la participation était obligatoire, ne pourrait-on pas annuler son vote, tout simplement? Ce serait confondre les abstentionnistes et les absents. Et cela n'aurait de sens que si les bulletins offraient aussi une case «aucun». Et si les médias avaient l'obligation d'afficher ces résultats. Quel politicien aura le courage d'ajouter cette case «aucun»?

Enfin, l'abstention dépend des partis eux-mêmes. L'art de la politique est aussi la capacité de faire voter. On sait que les «machines» font «sortir» le vote; or, l'affaiblissement des «machines», qui manquent d'argent et, surtout, de personnel, a été patent aux dernières élections. C'est sans compter que l'on nous a plutôt dit pour qui ne pas voter...

Tout cela nourrit à la fois le mélange de sécurité et d'indifférence qui incite à rester chez soi et à la fois la démagogie populiste : yaka faire ceci, yaka changer cela... Mais le «yakisme» n'est pas une politique sérieuse. Veut-on vraiment que les absents fassent dorénavant émerger des urnes des gouvernements d'animateurs de radio-poubelle?

Il y a sûrement de bonnes raisons d'améliorer le système de scrutin, mais le taux de participation électorale n'est pas de celles-là.

N.d.l.r.: Cet article a été rédigé après les élections fédérales et avant les élections provinciales.